La grève des conducteurs de transports en commun et autres pseudo-nantis bénéficiaires de régimes spéciaux de retraite prend fin ces jours-ci, après seulement neuf jours de grève. Ces 9 jours me laissent un peu perplexe.
Perplexe parce qu'en 1995, le conflit avait été beaucoup plus long, les perturbations dans les transports en commun beaucoup plus pénibles et les revendications étaient moins légitimes qu'actuellement. Pourtant, j'ai l'impression qu'on en avait pas parlé beaucoup plus et qu'on n'en avait pas autant voulu aux grévistes que ces derniers jours. Je suis perplexe parce que certaines choses m'(nous) échappent dans ce conflit, parce que l'on n'a pas toutes les informations nécessaires pour comprendre et juger, ou parce que les infos que l'on nous donne sont orientées.
Tous les conducteurs de train, de bus et de métro ne sont pas des privilégiés, même si je ne suis pas favorable au maintien des régimes spéciaux de retraite. Certes, la seule pénibilité du travail doit compter pour la durée des cotisations nécessaires à l'obtention d'une retraite à taux plein et non pas l'appartenance à une entreprise abritant autant de métiers différents que des conducteurs, des contrôleurs, des guichetiers, etc, etc, etc....
Je suis un peu gêné quand j'entends qu'on qualifie les grévistes de privilégiés. Beaucoup d'entre eux n'ont pas des salaires mirobolants et certains ont des travaux réellement pénibles. Je comprends que les usagers soient en colère après eux car les trajets quotidiens pour aller bosser, déjà pénibles en temps normal, deviennent carrément un enfer en période de grève. Je crois cependant que la rancoeur envers les grévistes est plus due aux nuisances qu'ils causent dans le quotidien des gens qu'à l'absence de légitimé de leurs revendications. Même les personnes qui sont habituellement plutôt modérées n'ont pas de mots assez durs pour vilipender ces privilégiés qui bloquent le pays pour défendre des avantages d'un autre âge. Quand j'ai récemment osé dire dans une soirée que le terme de prise d'otage était peut-être un peu excessif, je me suis fait gentiment rembarré, comme si j'avais lancé une provocation. Une demoiselle m'a même dit qu'elle estimait que les grévistes étaient responsables de certains décès en voiture parce que des gens prenant habituellement les transports en commun avaient pris leur voiture, étaient morts dans un accident et seraient toujours vivants s'il n'y avait pas eu de grève. Faut quand même pas exagérer!
En période de grève, de surcroît, beaucoup de fantasmes demeurent. Le mouvement de grève ne se justifie que parce que les grévistes perdent des journées de salaire dans ces cas-là. Cela paraît légitime et donne un sens à leur mouvement et pourtant, pas mal de braves gens viendront vous dire que les syndicats disposent de fonds spéciaux pour payer aux grévistes l'équivalent des journées de salaire perdues alors que ce n'est absolument pas avéré. De même, les sabotages qui ont été perpétrés ne sont que le fruit d'une minorité et bien qu'étant graves, ne sont pas des actes criminels mais tout au plus des délits pénaux. Il n'y pas eu de mise en danger de la vie d'autrui, il faut garder le sens de la proportionnalité.
Je reconnais que mon jugement est peut-être biaisé par le fait que j'habite à Paris et même si la grève m'a gêné, j'en ai eu au pire pour 45 minutes à pied pour aller bosser. Moi aussi, j'étais agacé par l'affluence dans les rames de métro, l'attente sur les quais, l'incertitude sur l'arrivée prochaine ou non d'une rame en station. Par ailleurs, je suis fonctionnaire et je n'ai donc pas été soumis à la même pression pour aller bosser que des salariés du privé. Même ma copine de Montpellier a quand même pu venir à Paris le week-end dernier malgré la grève des TGV.
Il y a aussi des choses que je n'ai pas comprises. On nous parle d'aligner la durée de cotisation sur celle du régime général et de la faire passer de 37,5 ans à 40 ans. Or, je sais que beaucoup de gens partent en retraite à 50 ans (conducteurs), voire 55 ans pour les personnels non roulants. Autant de personnes qui ne cotisaient forcément pas 37,5 ans et demi (rares sont ceux qui peuvent conduire des trains dès 12 ans et demi) et pour lesquels la hausse de la durée de cotisation théorique ne changera rien s'ils continuent à toucher une retraite à taux plein dès 50 ou 55 ans. J'ai entendu ici et là que les bénéficiaires des régimes spéciaux cotisaient plus que les autres pour avoir une retraite pleine, même si le régime spécial est vraiment déficitaire. Ceux qui veulent stigmatiser les grévistes n'en parlent pas. De même, dès le début, les conducteurs adhérents à la fédération générale autonome des agents de conduite auraient obtenu des avantages compensant les inconvénients dus à leur nouveau régime de retraite. Pourquoi simplement eux? De quels avantages s'agit-il? Qui va en payer le coût??? Aujourd'hui, la grève cesse mais quels avantages a-t-on accordé aux grévistes? Est-ce cela ne va pas annuler l'économie attendue de la réforme des régimes spéciaux de retraite? Tant de questions importantes sans réponse à l'heure où l'on nous abreuve d'informations parfois anecdotiques.
Que dire de l'attitude du gouvernement? Sarkozy a été d'une discrétion inhabituelle pendant les grèves, lui qui est d'habitude omniprésent jusqu'à la saturation, avant de déformer une citation de Maurice Thorez pour servir son propos. Les deux parties ont fait mine de négocier, les grévistes faisant du renoncement du gouvernement à l'essence même de la réforme la condition du début des négociations, le gouvernement faisant de l'arrêt de la grève le préalable à toute négociation, un peu comme si quelqu'un vous proposeit un débat mais n'acceptait de commencer à débattre qu'à la condition que vous lui promettiez qu'au final, vous direz être d'accord avec lui. Bien curieuse méthode pour une négociation.
Ce que je retiendrai des grèves, c'est que paradoxalement, autant les situations peuvent basculer rapidement dans la violence en période de tension et de forte affluence dans les transports. Pourtant, le covoiturage nous montre aussi (ma mère le vérifie souvent) que les gens sont capables de se serrer les coudes et d'être solidaires dans les moments difficiles. J'ai moi-même hébergé ma petite cousine qui sans ça, n'aurait pas pu rentrer chez elle et je laisse Jeff rentrer sa moto dans mon garage, sans quoi il n'aurait pas pu venir chez ma soeur comme il le fait habituellement.
Désolé, c'était long mais je rattrape mon retard. La grève, c'était chiant mais ne perdons pas le sens de la mesure et gardons bien à l'esprit quelle serait notre attitude si nous étions à la place des cheminots, bien qu'eux ne se mettent pas forcément à notre place. Ils n'ont guère d'autres moyens de se faire entendre et tant qu'il n'y a pas sabotage ni d'obstruction au travail pour les cheminots non grévistes, ne dramatisons pas la situation.